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Aline AUBERTIN: INGÉNIEURES ? Leur métier s’accorde-t-il au FÉMININ ?

INGÉNIEURES ? LEUR MÉTIER S’ACCORDE-T-IL AU FÉMININ ?

Aline Aubertin: INGÉNIEURES ? LEUR MÉTIER S’ACCORDE-T-IL AU FÉMININ ?Paru dans Hors-série JDGE n°12 – Mai 2012

INGÉNIEURES AU FÉMININ

Qu’est-ce qui différencie une ingénieure d’un ingénieur ? Ce simple « e » justifie-t-il une différence ?

Aucune différence, vous diraient les élèves ingénieures…

… étonnées de se retrouver si peu nombreuses dans les écoles d’ingénieurs : seulement 25 % en moyenne des élèves ingénieurs[i] sont des filles et moins de 10 % dans certaines filières telles que le génie civil ou l’électricité. Elles ont eu la chance d’évoluer dans un environnement où les stéréotypes, qui veulent que les études d’ingénieurs préparent à des métiers d’hommes, ne les ont pas découragées, soit parce qu’elles ont pu malgré tout imposer leur envie, oser et se faire confiance, soit parce qu’elles ont été protégées de ces stéréotypes[ii].

Elles ont passé les mêmes concours que leurs camarades garçons ou la même sélection à l’entrée des mêmes écoles. Elles ne perçoivent aucune différence pendant toutes leurs études, même s’il leur faut parfois s’imposer pour se faire une place dans un milieu masculin, dont elles doivent apprendre les codes. Cependant, elles sont le plus souvent finalement chouchoutées par leurs camarades du fait de « leur rareté » et appréciées dans les travaux de groupe pour leur sérieux, leur capacité organisatrice et modératrice.

En effet ces études leurs sont complètement accessibles : aucun besoin d’aptitudes physiques qui pourraient être différentes entre garçons et filles. Au contraire, elles réussissent particulièrement bien, voire mieux que les garçons. Aucune différence non plus dans le choix du premier emploi, qu’elles trouvent en moyenne plus rapidement que les garçons et pour lequel elles sont rémunérées quasiment au même niveau[iii]. Mais alors cette question de la différence entre ingénieur et ingénieure est-elle complètement d’un autre temps ?

Pas tout à fait, en fait.

En effet, au fil des années, ingénieurs et ingénieures auront le plus souvent des carrières différentes. 48 % des ingénieurs ont des responsabilités hiérarchiques contre 32 % des ingénieures, et les femmes encadrent plutôt une petite équipe tandis que les hommes encadrent plutôt un service ou un département. 21 % des ingénieurs qui ont des responsabilités hiérarchiques ont des fonctions de direction générale, contre 8 % des femmes[iv].

Ces différences de profil de carrière se retrouvent sur les salaires comparés des ingénieurs, homme ou femme. L’écart de 2,6 % en début de carrière est déjà légèrement supérieur à 10 % dans la tranche d’âge 30-39 ans, pour atteindre plus de 20 % au-delà de 50 ansiv.

Les raisons sont complexes et multiples. Le plafond de verre existe pour les ingénieures, comme pour l’ensemble des femmes cadres françaises. Mais les choix de carrières des femmes expliquent également ces différences. On les retrouve plus nombreuses en études et essais techniques, R&D et qualité, et bien moins nombreuses que les hommes dans les domaines rémunérateurs tels que vente, marketing, achats et management des systèmes d’informationiv.

Les écoles de commerce qui préparent les ingénieurs, entre autres, aux plus hautes fonctions de management et gestion dans leurs e-MBA accueillent encore une minorité de femmes, quelles que soient les études initiales de leurs participants. Ceci parce que les entreprises sollicitées pour financer ces formations coûteuses privilégient leur vivier d’hommes, mais aussi parce que les femmes en font moins la demande. Elles sont davantage culpabilisées à l‘idée de consacrer pendant 18 mois la majeure partie de leur temps personnel à la préparation de leur carrière, en n’étant pas forcément soutenues dans leur famille.

Il faut donc reconnaître que les ingénieures ont leur part de responsabilités, mais le poids de notre société où l’inégalité entre les sexes perdure encore, également. Les différences entre ingénieures et ingénieurs sont donc à priori les mêmes que celles de l’ensemble des cadres français quelle que soit leur formation initiale.

Par contre, les entreprises qui cherchent à recruter davantage d’ingénieures pour féminiser leurs équipes et ainsi améliorer leur performance, gagneraient à mettre en oeuvre une politique spécifique d’accompagnement pour favoriser leur progression de carrière. C’est cette politique volontariste qui permettra aux ingénieures de vivre, puis de dire que non vraiment, il n’y a plus aucune différence !

Aline Aubertin
Ingénieur CPE et titulaire du eMBA d’HEC
Présidente de Femmes Ingénieurs

[i] Chiffres issus de l’enquête annuelle du CNISF (situation 2009), dont l’analyse comparée est réalisée par FI depuis plus de 15 ans.

[ii] Le portrait des femmes ingénieurs 2008, rédigé par FI à partir des statistiques de l’enquête du CNISF montre que les ingénieures ont des mères plus souvent actives que l’ensemble des ingénieurs, écart provenant d’une présence plus importante de filles d’enseignantes. Le rôle des parents et en particulier des mères comme modèle ou prescriptrice apparaît comme particulièrement important.

[iii] alors que les hommes issus des écoles de commerce perçoivent une rémunération plus élevée que celle des femmes débutantes – Sources : Traitement FI de l’enquête CNISF2010 – Enquête CGE 2010 – INSEE.

[iv] Traitement FI de l’enquête CNISF 2008

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