Aperçu des Sciences et Ingénierie Numériques (SIN)
Extrait de l’introduction du programme de la session plénière solennelle 2012 de l’Académie Hassan II des Sciences et techniques
Les mathématiques sont probablement les précurseurs du savoir scientifique quantitatif, du raisonnement logique et de l’abstraction des concepts. Il semble même qu’elles ont permis à la pensée humaine de se structurer, et sur le plan scientifique de traduire les concepts et les mécanismes en équations quantitatives ayant souvent force de loi. Elles ont aussi permis aux sociétés anciennes de mesurer, de compter et de déduire, pour une organisation cohérente de la société, comme la fabrication des objets, la construction de l’habitat, la gestion de l’agriculture et des récoltes, le commerce, et également la détermination du temps, l’établissement du calendrier et la prédiction des évènements y compris astronomiques, etc.
Elles ont aidé par la suite à formuler les lois qui gouvernent de manière quantitative le fonctionnement et l’évolution de la nature. L’invention de la machine, de sa miniaturisation (découverte de l’électronique) et de son contrôle (informatique), a eu un impact sans précédant sur la vie de tous les jours et sur le fonctionnement de la société dans son intégralité. La révolution informatique et l’utilisation de l’ordinateur par les scientifiques, par l’industrie ou encore par le public ont changé radicalement notre rapport aux concepts physiques, à la conception et la fabrication ou encore à l’information et son traitement.
L’évolution des mathématiques appliquées et des outils informatiques a permis de développer une nouvelle branche de la science qualifiée de Sciences et Ingénierie Numériques (SIN). Sous leur forme la plus simple, les SIN reposent sur un ensemble de techniques de raisonnement logique permettant de simplifier, de séquencer et de résoudre des problèmes complexes en utilisant des modèles physiques, décrivant le problème en question, et des techniques mathématiques, algorithmiques et informatiques. Elles permettent l’acquisition et le traitement de l’information de façon aisée et organisée, de simuler des événements difficiles à réaliser au laboratoire, de concevoir et de réaliser des maquettes et des prototypes industriels et de prédire, dans certains cas, le comportement des phénomènes de la nature, des procédés industriels et des objets lors de leur fabrication et leur utilisation.
À titre d’exemples, les SIN permettent de concevoir et de mettre au point sur ordinateur les composantes d’un avion, d’une voiture et d’autres objets industriels, et de tester leur comportement d’abord de façon individuelle, puis de manière intégrée avant leur fabrication réelle en usine ; elles permettent aussi de simuler les conditions climatiques et d’en prédire les effets; elles permettent également d’acquérir l’information, comme les signaux optiques des satellites, de la traiter et de la transformer en connaissance de l’univers, concernant par exemple la structure, les échelles et le mouvement des objets célestes, etc. Ce sont là quelques exemples simples permettant d’illustrer les implications des SIN.
Sous leur forme complexe, les SIN ne concernent pas uniquement l’acquisition et le traitement de l’information et la simulation des comportements, elles génèrent aussi de nouvelles connaissances et contribuent à l’avancement des connaissances et des compétences dans différents domaines scientifiques et techniques.
Les SIN ouvrent ainsi de nouveaux paradigmes d’investigation dans de nombreuses disciplines: physique, astronomie et astrophysique, chimie, sciences des matériaux, sciences de la vie, sciences de la terre, climatologie, architecture, économie et logistique et même dans les sciences humaines et sociales. Elles ont un fort impact sur la recherche, son organisation, ses méthodes d’évaluation et de dissémination. Elles révolutionnent l’ingénierie dans tous les domaines de production et de services, et elles ont complètement changé le processus de conception et les mécanismes d’innovation.
Aujourd’hui, dans chaque domaine scientifique et technologique, on rencontre des problèmes complexes, faisant ressortir des interactions entre plusieurs phénomènes. Chaque phénomène doit être traité en utilisant des approches appropriées et des représentations mathématiques adéquates tenant compte des différents effets interactifs impliqués. La complexité de ces couplages peut être surmontée en utilisant plusieurs techniques analytiques complémentaires, combinées à une approche cohérente et intégrée. Les possibilités pour l’intégration numérique des modèles multi-physiques et multi-échelles, la sophistication des mesures, le traitement des données, ainsi que le large accès aux banques de données et la puissance des codes de simulation et de visualisation et des supports informatiques, ouvrent des perspectives interdisciplinaires radicalement nouvelles et des développements technologiques importants.
A titre d’exemple, dans le domaine des matériaux, la modélisation et les simulations moléculaires permettent dans certains cas de prévoir telle molécule ou combinaison de molécules pour telle application, leur stabilité et leurs propriétés avant leur synthèse au laboratoire. La modélisation multi-échelle combinée à la simulation numérique permet dans certains cas de choisir les composantes de base et leur proposition pour la fabrication d’objet en matériaux hétérogènes tout en prévoyant leurs propriétés (céramiques, mélanges de polymères, composites et nanocomposites, matériaux à structures lamellaires etc.).
La modélisation intégrée permet aussi de tenir compte de l’effet combiné de plusieurs paramètres à la fois via des couplages complexes de phénomènes physiques, chimiques et biologiques dans un même cadre de simulation et de prévision du comportement de l’ensemble des composantes mises ensemble. C’est le cas par exemple des modèles numériques, pour simuler le fonctionnement d’un organe tel que le système cardiovasculaire, qui doivent intégrer de multiples modèles reliés à l’électrophysiologie, la mécanique du muscle, l’écoulement du sang et de l’air, le métabolisme cardiaque, la perfusion du myocarde, etc. Ces modèles sont traîtés par couplage entre les différents phénomènes, dans une approche globale donnant des informations cruciales pour le fonctionnement du système cardiovasculaire en entier.
Malgré les progrès spectaculaires des SIN, des défis importants restent encore à surmonter; ils sont reliés aux modèles mathématiques multi-niveaux, aux techniques d’acquisition, de traitement des données, des simulations et à la précision des prévisions, notamment à long terme (prévision du climat et des catastrophes naturelles…) et à la puissance des calculateurs et des ordinateurs et l’optimisation des algorithmes de calcul.
Le Maroc utilise déjà dans de nombreux domaines des technologies relevant des SIN, mais il reste encore beaucoup à faire dans des domaines importants pour le développement du pays, comme notamment l’identification détaillée des ressources naturelles (affiner la carte géologique du pays avec le recensement des ressources minières, végétales, halieutiques et de la biodiversité nationale), l’aménagement du territoire, la gestion urbaine et rurale (circulation,aménagement et développement, etc.), la modernisation des services publics et privés,l’amélioration fonctionnelle du système de santé, tant sur le plan de la planification qu’au niveau de la recherche et développement et beaucoup d’autres applications industrielles permettant d’accompagner et de développer davantage les politiques sectorielles du pays (Plan Maroc Vert,Plan Azur, Plan Energétique, Plan Emergence, Plan Halieutis …).
En plus de ces défis scientifiques et techniques aux solutions desquelles les chercheurs marocains doivent contribuer en les appliquant à leur champ disciplinaire, des défis sur les plans de la formation, de l’éducation restent posés. Contrairement à jadis, l’accès de façon massive à l’information technique et scientifique, aux outils de simulation, de visualisation et d’analyses s’est généralisé comme jamais auparavant, et ceci amplifie de façon significative l’impact de la maîtrise des outils des SIN sur l’activité professionnelle et sur la vie quotidienne des citoyens.