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Cartographie de la formation « Ingénieur d’État » au Maroc

Cartographie de la formation "Ingénieur d'État" au Maroc

En l’absence d’un observatoire de l’ingénierie au Maroc, plusieurs questions centrales resteront suspendues en l’air. Combien d’ingénieur.e.s compte le Maroc? c’est quoi leurs spécialités? ils (elles) travaillent où et sur quoi? ils (elles) gagnent combien en moyenne? Quels profils nous manquent ou nous manqueront dans un horizon donné? … etc.

A « Maroc Ingénierie » nous essayons de contribuer modestement à ce grand chantier en publiant le résultat de nos recherches dans cette thématique. Ainsi, nous avons publié :

Dans la même approche, nous voici entrain de vous soumettre le résumé d’un modeste essai de mise en place de la première cartographie de la formation d’ingénieur d’État au Maroc.

I. Une formation basée sur trois types d’établissements

  • Établissements publiques

L’offre de la formation d’ingénieurs au Maroc s’est enrichie depuis le lancement de l’initiative « 10.000 ingénieurs et assimilés à l’horizon 2010 » en 2006. Par son biais, la capacité d’accueil des grandes écoles d’ingénieurs a nettement évoluée. Les universités ont pu renforcer leurs offres pédagogiques par de nouvelles formations couronnées par la délivrance du titre « Ingénieur d’État » (13 ENSA, 3 ENSAM et 7 FST). De même, c’est grâce à elle que quelques écoles publiques ont mutés vers ce cycle comme a été le cas de l’ESI à partir de 2016 et de l’ENSET Rabat qui va rejoindre le réseau des ENSAM à partir de 2022.

En somme, le Maroc compte 38 établissements publics de formation d’ingénieurs d’État dont vingt sept (27) sont affiliés aux universités marocaines. Pour le reste, on compte 4 structures relevant d’établissements publiques (INPT, AIAC, INSEA et ESI). Quatre (4) autres sous la tutelle des ministères (EHTP, ENSMR, ENFI et IAV). Deux (2) écoles militaires (ERA et ERN) et l’ENA de Méknes ayant le statut d’une personne morale parfaitement autonome.

  • Établissements issus d’un Partenariat Public-Privé (PPP)

Cette initiative a eu aussi le mérite d’encourager l’État à renforcer son partenariat avec les opérateurs privés pour former plus d’ingénieurs d’État. Désormais, il est partenaire du privé dans 4 nouveaux établissements en plus de l’ESITH, à savoir : l’INSA Euro-Méditerranée à partir de 2014, de l’École Centrale de Casablanca à compter de 2015, de l’École Supérieure de Génie Biomédical relevant de l’UM6SS depuis 2016 et de l’Université International de Rabat fondée en 2010 et dont les diplômes ne seront reconnus par l’État qu’à partir de 2016.

  • Établissements Privés reconnus par l’État

De plus, la contribution des établissements privés dans ce cycle a aussi connu une nette croissance depuis cette date. En l’occurrence et malgré l’éternelle polémique autour de la qualité de la formation dispensée par des entités créées avec une vocation commerciale. Le Maroc compte à présent, huit (8) établissements privés reconnus par l’État, à savoir : l’EMSI, l’EMG, l’Ecole de l’Ingénierie et d’Innovation de Marrakech relevant de l’Université Privée de Marrakech (E2IM -UPM), l’École Polytechnique Agadir (EPA), l’ESTEM Casablanca, la Faculté des Sciences de l’Ingénieur relevant de l’Université Privée de Fès (FSI – UPF), l’IGA et l’Université Internationale de Casablanca (UIC).

En résumé, le Maroc dispose en 2021 de cinquante et un (51) établissements de formation habilités à délivrer des diplômes d’ « ingénieur d’État » dont les trois quarts appartiennent entièrement à l’État (74%).

II. Une offre pédagogique à forte dominance classique

Les 51 établissements dispensent 273 formations dont les 86,45% gravitent autour des neuf (9) génies classiques : agronomie, civil, industriel, mécanique, électrique, énergétique et environnement, procédés, informatique et puis le réseaux & télécoms.

Pour les 37 autres spécialités, elles nous informent sur l’adaptation du système d’enseignement supérieur aux besoins spécifiques du marché. Elles regroupent des formations très approfondies et préparant des profils très pointus. On y cite à titre d’exemple : la météorologie, la démographie, l’actuariat, l’ingénierie forestière, l’halieutique, la topographie, le biomédical, l’aéronautique et l’aérospatial, l’automobile, le minéral, l’hydraulique, le data science, … etc.

III. Une formation qui exige une mobilité géographique à la majorité des étudiants

Parmi lesdits 51 établissements, seuls l’EMG (2) et l’EMSI (4) disposent de campus sur plusieurs villes. Ceci nous permet de transformer le nombre de 51 à 55 sites de formation.

Malgré cela, la formation d’ingénieurs n’est disponible que dans 19 villes des 75 préfectures et provinces que compte le royaume. Autrement vu, les étudiant.e.s installé.e.s dans 75% du territoire marocain sont appelé.e.s à changer de résidence s’ils (elles) envisagent une carrière d’ingénieur.

En l’occurrence, ce cycle est indisponible dans les trois régions du sud marocain, à savoir : Laâyoune-Sakia El Hamra, Dakhla-Oued Ed Dahab et Guelmim-Oued Noun.

IV. Une forte concentration dans les deux plus grandes régions du Royaume

En effet, les deux régions Casablanca-Settat et Rabat-Salé-Kénitra abritent 31 établissements de formation d’I.E et accumulent 167 spécialités des 273 identifiées. Autrement dit, un peu plus que 60% de l’offre globale de ce cycle est localisée dans le grand périmètre des deux capitales économique et administrative du Maroc. Mieux encore, ces deux régions abritent 89% des formations préparant aux métiers et profils pointus cités en sus (33 des 37 identifiés).

V. Une mauvaise répartition des génies sur le territoire

Tout d’abord, il est important de reconnaître que le cycle « Ingénieur d’État » n’aurait pu suivre le chantier national de la régionalisation sans la création des réseaux ENSAM, ENSA, FST et ENSET. En même temps, il faut admettre que la création de ces structures régionales n’est venue répondre aux exigences d’une vision stratégique matérialisée par un plan d’action solide.

Preuves à l’appui, le tableau ci-dessous montre que pas tous les fondamentaux génies sont enseignés dans toutes les régions. En parallèle, les autres génies n’existent que dans 6 villes du Royaume.

Désignation Spécialités Établissements Régions Villes
Génie informatique 60 36 8 16
Génie industriel 50 30 7 14
Génie électrique 33 26 8 13
Génie mécanique 20 17 7 11
Génie civil 18 13 7 9
Génie réseaux et télécoms 13 13 7 11
Génie énergétique et environnement 14 12 6 8
Génie des procédés 12 10 5 8
Génie agronomique 16 6 5 5
Autres Génies 37 21 4 6

VI. Inadéquation des génies avec les vrais besoins des régions

Une analyse plus approfondie de la répartition des spécialités par zones géographiques, a révélé l’inadéquation des génies avec les avantages comparatifs des régions et des villes qui les abritent. A titre d’exemples:

  • Marrakech est une ville à dominance touristique qu’est dans le besoin d’ingénieur.e.s spécialisé.e.s en « ingénierie touristique ». Pourtant cette formation n’existe nulle part au Maroc et la Société Marocaine de l’ingénierie Touristique (SMIT) créée en 2007 sous la tutelle du ministère du tourisme aurait pu initier une telle action.
  • EL JADIDA est sise dans une zone à dominance agricole. Pourtant, l’ENSA qui y a été créée en 2008 n’a jamais formé d’ingénieurs agronomes.
  • L’ENSA de Safi créée en 2003, n’a formé que des ingénieurs spécialisés en génies industrielle, informatique et réseaux & télécoms. Avec sa façade maritime, elle pourrait bien fournir des ingénieurs halieutes.
  • La grande performance du grand port Tanger-Med, ne nous interpelle pas quant à l’absence d’une formation en ingénierie portuaire au Maroc?

En conclusion, il s’avère que la formation des ingénieurs au Maroc mérite une profonde réforme. Certes, nous avons toujours besoin d’ingénieurs de compétences évolutives. Mais, nous avons initialement besoin d’un observatoire de l’ingénierie nationale qui se charge de collecter et de partager les informations nécessaires à l’élaboration d’une bonne stratégie de formation à moyen et long terme.

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