ArticlesCOVID-19

De la Variole au Coronavirus, ou les 260 ans de la Biomathématique

De la Variole au Coronavirus, ou les 260 ans de la Biomathématique

Pour la communauté des biomathématiques, c’est au suisse Daniel Bernoulli (1700-1782) que revient le mérite d’introduire la modélisation mathématique dans l’épidémiologie. Plutôt célèbre d’être le physicien fondateur de la mécanique des fluides (cf. théorème de Bernoulli, 1738). Sont rares, qui ont su pour son Doctorat en médecine obtenu de l’université de Bâle en 1721.

En effet, grâce à son travail de modélisation intitulé « Essai d’une nouvelle analyse de la mortalité causée par la petite vérole & des avantages de l’inoculation pour la prévenir ». Présenté en lecture publique le 16 Avril 1760 et publié en 1766 par l’Académie Royale des Sciences à Paris. D. Bernoulli a pu montrer que malgré ses risques, la vaccination antivariolique prolongeait de 3 ans et 2 mois, l’espérance de vie.

Cet essai, fut vraisemblablement la première pierre de l’édifice biomathématique.

L’histoire nous raconte qu’au 18ème siècle, alors que la variole tuait des millions d’européens. Les turcs réussissaient à sauver des vies via l’inoculation de cette maladie infectieuse d’origine virale. C’était une technique similaire à la vaccination.

Informée par le médecin de l’ambassade d’Angleterre à Constantinople, Dr. Emmanuel Timoni (1670-1718), l’épouse de l’Ambassadeur a réussi de convaincre quelques médecins anglais d’adopter la même pratique en Grande Bretagne et delà, vers le reste de l’Occident.

Malheureusement, ils ont vite constatés que 0,5 à 2% des patients mouraient pour des causes très controversées. En conséquence, cette pratique a été abandonnée et c’est en ce moment que D. Bernoulli a décidé d’intervenir en se basant sur sa forte maîtrise de la médecine et des mathématiques.

Professeur de médecine à Bâle et de mathématique à Saint-Pétersbourg et titulaire de dix fois le prix annuel de l’Académie Royale des sciences de Paris. Il disposait de la table de survie conçue par Halley en 1693 pour la ville polonaise de Wroclaw. Par conséquent, il avait eu l’idée d’en extraire deux nouvelles tables. Pour la première, il a identifié et supprimé les morts causés par la variole tandis que pour la deuxième, il a repris la première et lui a appliqué le taux de mortalité reconnu aux risques de l’inoculation.

En disposant aussi, du taux de susceptibles ou sensibles à la variole, du taux de mortalité parmi ces derniers et du taux de mortalité à cause de l’inoculation. Daniel Bernoulli a pu construire un modèle mathématique capable d’estimer le nombre de survivants après x années pour une cohorte d’individus systématiquement inoculés en début de vie.

Autrement dit, il a pu démontrer mathématiquement que l’inoculation reste efficace malgré les décès qu’elle peut occasionner. Elle augmentait l’espérance de vie de (26 ans et 7 mois) à (29 ans et 9 mois).

Il a en plus, conçu une table de survie qui améliorait celle de Haley en prenant en charge le cas de la variole. Par son biais, il calculait sur 24 ans le nombre de survivant d’une population initiale de 1300 naissances. Delà, il pouvait déduire les nombres des cas dits : « sensibles » ou « susceptibles », « survivants », « contaminés », « morts suite à la variole» et « morts hors variole ».

Toutefois est bon à savoir que, depuis 1760 à nos jours, tous les travaux statistiques en épidémiologie continuent d’adopter les trois compartiments établis par D. Bernoulli, à savoir : les susceptibles (S), les infectés (I) et les Remis (R). D’ailleurs, c’est d’ici que réside l’explication de l’abréviation du modèle déterministe SIR auquel font référence plusieurs chercheurs travaillant sur la pandémie COVID-19.

Est bon aussi de savoir, que c’est Ronald Ross, le Prix Nobel en physiologie (1902) pour sa découverte de la voie de contamination de l’homme par la malaria (Paludisme), qui a publié en 1911 la première modélisation de la propagation de cette maladie infectieuse. Il s’est basé sur les calculs différentielles et les travaux de D. Bernoulli.

Les deux écossais, William Ogilvy Kermack et Anderson Gray McKendrick ont réussi, eux aussi, à marquer l’histoire de l’épidémiologie. En 1927, ils ont généralisés les travaux de Ross et modéliser la propagation de toute épidémie en partant des données empiriques de la « Grippe espagnole » qui a sévi le monde entre 1918 et 1919.

Plus spectaculaire!

Est frappant de voir des biomathématiciens faire recours au processus de Galton-Watson (1845) pour mesurer l’impact des épidémies sur la survie des générations. Pareil, quant ils s’obstinent de calculer la proportion de la population à immuniser (par infection ou vaccination) pour imiter la propagation d’une pandémie. Ou encore, quand ils nous interpellent à propos de la stabilité des équilibres sans malades pour mieux préparer un déconfinement.

Maintenant et après ce bref aperçu historique des biomathématiques, place à des questions plutôt inquiétantes.

En cet avril 2020, au Maroc comme partout dans le monde, la pandémie COVID-19 continue de récolter des victimes. Les officielles s’activent pour apporter des réponses multisectorielles pour contrer ses méfaits et dégâts. De l’autre côté, les initiatives citoyennes continuent de voir le jour à un rythme plutôt réconfortant et parfois même inquiétant.

Pour ce qui concerne la communauté des statisticiens et des Data-Scientists, elle continue de contribuer à cet élan mondial. Plusieurs modélisations statistiques ont été rendues publiques. Leurs auteurs, s’activaient d’avertir quant à l’importance du Data-Mining pour une gestion optimale de la crise.

En les remerciant pour leur esprit d’initiative, nous portons notre voix aux leurs, pour alerter qu’en cet avril 2020 la biomathématique fête ses 260 ans dans le monde mais sans qu’elle voit, officiellement, le jour au Maroc.

C’est une autre réalité amère dévoilée par cette pandémie tueuse. Qu’aura-t-il été de ce monde sans la contribution de D. Bernoulli pour lutter contre la petite vérole, de Ronald Ross contre le paludisme et tous ceux qui les ont suivis ?

Pourtant, les rangs de nos universités et écoles d’ingénieurs manquent toujours de spécialisés en biomathématiques et bio-statistiques. Prisés partout dans le monde, on peut même s’interroger sur leur effectif au sein du ministère de la santé, des laboratoires pharmaceutiques et des centres de recherche.

Pour conclure, la performance d’un bon système de santé se mesure aussi par les effectifs de ces profils. Nul doute, c’est le moment idoine pour se rattraper.

Partager:

Ajouter un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée