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En Droit marocain, COVID-19 est-elle un cas de force majeure ?

COVID-19, est elle un cas de force majeure ?

Hamdi RHOLAMI

Par Maître Hamdi RHOLAMI, Avocat au Barreau de Marrakech et ex Dirigeant de plusieurs entreprises du secteur privé.
Article initialement publié par son auteur le 24 Mars 2020, sous le titre « COVID 19, TOLERANCE LEGALE »

Mis à part qu’il s’agit d’un virus touchant la santé de l’Homme et menaçant sa vie. le Coronavirus, représente aujourd’hui un événement en conséquence duquel plusieurs rapports juridiques se sont trouvés, se trouvent et se trouveront troublés.

Entre le nombre montant des interrogations posées chaque jour, aussi bien par des professionnels que par des profanes sur leurs situations juridiques, chacun dans son contexte, allant de la relation employeur – salarié, jusqu’à la relation bailleur – locataire, en passant par l’exécution ou non des engagements contractuels et légaux ( paiement des factures, déclarations d’impôt, etc….), et entre les situations futures encore ambiguës qui ne cessent de préoccuper, la notion de responsabilité juridique fait, progressivement, sujet des débats et polémiques actuels.

Le Dahir portant code des obligations et contrats représente la loi générale régissant tous types de rapports civils entre individus (à l’exception des rapports de famille et successions), sous réserve de l’absence d’un texte spécial expresse.

Les règles de responsabilité civile, délictuelle soit-elle ou contractuelle, dictent que le responsable civilement, qui se définit comme la personne civile ou morale ayant manqué à son obligation légale (obligation imposée par une loi) ou contractuelle (Obligation imposée par un contrat), doit réparer le dommage causé à la victime, ayant subi un préjudice, à la suite de ce manquement d’obligation.

C’est à travers les articles de 77 à 106 du dahir des obligations et contrats (D.O.C) que le législateur régie la responsabilité délictuelle, alors que la responsabilité contractuelle est encadrée par les articles de 254 et 266 du même dahir.

Mais dans tous les cas, ladite responsabilité civile requière la réunion de trois conditions, sans lesquelles, elle ne pourrait s’établir : il s’agit de la faute, du dommage et du lien de causalité.

La faute consiste en tout acte positif ou négatif matérialisant le manquement à une obligation légale ou contractuelle déterminée, Le dommage, c’est le préjudice subi par autrui (la victime) en conséquence de la commission de cette faute, alors que le lien de causalité, qui n’est autre que le rapport « cause à effet », liant la faute au dommage.

La règle d’or, est que lorsque la responsabilité civile se trouve établie, l’auteur de la faute, est sanctionné par la réparation pécuniaire du dommage subi par la victime.

Pourtant, le législateur, dans son esprit ultime de réalisation de la justice, ou plutôt de lutte contre l’injustice, a prévu une exception, dans laquelle le responsable civilement peut se voir exonéré de sa responsabilité, même dans le cas où il manque à son obligation, entraînant un dommage pour autrui ; c’est-à-dire même en cas de réalisation des trois conditions précitées.

Ce sont les articles 268 et 269 du D.O.C, qui font valoir cette « TOLERANCE LEGALE »… Ces deux articles qui prévoient la notion de la force majeure et du cas fortuit, comme événements exonératoires pour le responsable civilement.

Cependant, et afin d’éviter que tous les responsables civilement se prévalent de ces cas pour être épargnés à leurs sanctions civiles, le législateur à instauré trois conditions cumulatives pour qualifier un événement de force majeure :

Il faut que l’événement en question soit :

  • Externe : C’est-à-dire que l’événement n’émane pas du responsable, soulevant la force majeure en guise de fait exonératoire de responsabilité,
  • Imprévisible : cela signifie que l’événement ne devait en aucun cas être persuadé par le responsable.
  • Irrésistible : Cela entend que même quand l’événement s’est produit, le responsable civilement, s’est trouvé dans l’incapacité de l’éviter.

La question à poser ; peut-ont considérer le coronavirus comme un cas de force majeure ? Sachant que les trois conditions sont cumulatives…, si on admet que l’extranéité de cette pandémie et son caractère imprévisible sont réalisés, peut – on affirmer qu’elle est irrésistible ?

Selon L’article 269 du D.O.C :

« La force majeure est tout fait que l’homme ne peut prévenir, tel que les phénomènes naturels (inondations, sécheresses, orages, incendies, sauterelles), l’invasion ennemie, le fait du prince, et qui rend impossible l’exécution de l’obligation. N’est point considérée comme force majeure la cause qu’il était possible d’éviter, si le débiteur ne justifie qu’il a déployé toute diligence pour s’en prémunir. N’est pas également considérée comme force majeure la cause qui a été occasionnée par une faute précédente du débiteur ».

En mettant la pandémie Covid-19, à l’épreuve de cet article, on constate qu’en réalité, elle ne peut être considérée comme cas de force majeure qu’à partir du moment où le responsable civilement, désirant s’en prévaloir, prouve qu’il n’a pas pu y résister, en d’autres termes, il faut qu’il prouve que son manquement à son obligation est dû au virus en question, mieux encore, il faut qu’il prouve qu’il n’a pas pu y résister.

La nuance à déceler, est que la force majeure exonératoire de responsabilité civile, réside aujourd’hui pour la majorité des cas, dans « le fait du prince », consistant en ce confinement sanitaire imposé par le pouvoir exécutif, et qui empêcherait éventuellement les personnes à accomplir leurs engagements légaux ou contractuels.

En revanche, cela ne peut être invoqué d’office, ni par tous, faut-il encore prouver que c’est ledit confinement qui a rendu l’exécution de l’obligation impossible.

Par exemple, un salarié qui a gardé son salaire, pendant cette période (confinement), ne peut invoquer cette circonstance comme cas de force majeure l’exonérant de la responsabilité civile, due à son abstention de paiement de loyer, ou de mensualité de crédit bancaire… de même, une parapharmacie qui s’est vu doubler ou tripler son chiffre d’affaire en raison de l’achat massif des masques et des gels antiseptiques, ne peut invoquer le confinement comme force majeure justifiant le non paiement d’impôt…etc,

Par contre un employeur qui aurait été obligé d’arrêter son activité, suite au confinement sanitaire imposé, et qui n’aurait pas payé ses salariés ou ses fournisseurs, faute de trésorerie, serait dans son droit de faire valoir le cas de force majeur en question… heureusement, pour ce cas de figure, encore une fois, l’Etat a démontré qu’il était conscient de cette incapacité éventuelle de certains employeurs à honorer leurs engagements contractuels en matière salariale, et a anticipé les dégâts sociaux pouvant surgir, en prévoyant un régime indemnitaire au profit des salariés en question, régime qui sera sous la tutelle de la CNSS.

Une autre précision qui mérite d’être soulevée, et qui fait l’objet des interrogations; Plusieurs débiteurs croient qu’en invoquant le confinement comme force majeure, cela leur exonérera de leur dette. En réalité, Il s’agit d’une exonération des effets juridiques de la responsabilité civile, en l’occurrence des dommages et intérêts et de la résiliation contrat, le cas échéant ; en d’autres termes, un locataire qui ne paye pas ses loyers par force majeure, sera exonéré des dommages et intérêts et d’une éventuelle éviction, mais demeurera débiteur de ces loyers jusqu’à prescription de ladite dette. Dans le contexte actuel, il est à noter qu’un décret de suspension des délais de prescription et de forclusion a été publié au bulletin officiel du 24 Mars 2020, BO N° 6867 (décret N° 2.20.293), et qui vient confirmer l’esprit de tolérance du législateur en matière de respect des délais légaux et réglementaires.

Enfin, il est à retenir, que malgré que nous vivons aujourd’hui une pandémie mondiale, et malgré qu’il y a une crise économique qui s’installe en conséquence, les situations et rapports juridiques ne peuvent avoir le même sort, et une généralisation d’exonération de responsabilité civile ne pourrait se concevoir, car en l’actuel état d’urgence, même si les individus partagent le même esprit de patriotisme et de lutte collective contre le Corona Virus, il ne partagent guère les mêmes circonstances de vie individuelle, et ne peuvent avoir les mêmes contraintes, ni les mêmes responsabilités.

Prions pour notre cher pays…

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