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[Interview] Lecture rétrospective de la transformation digitale au Maroc

Lecture rétrospective de la transformation digitale au Maroc

Le Maroc s’est inscrit activement au développement du secteur des TIC depuis les années 80 du 20ème siècle. Pour faire le point sur le chemin parcouru par le Maroc, M. Aziz RABBAH, Ministre de l’Energie, des Mines et de l’Environnement, nous a offert son témoignage, lors d’un webinaire conjoint entre l’AUSIM et Maroc Ingénierie. Un témoignage lourd de sens, puisque cet ingénieur analyste (lauréat de l’INSEA promotion 1985), occupait le poste de conseiller en TIC du Premier Ministre Driss JETTOU et participait activement à promouvoir l’initiative « e-Gov » au Maroc.

Interview transcrit par l’équipe de l’AUSIMAG et publié dans son numéro d’Octobre 2020.

M. Mohamed Saad, Président de l’AUSIM : Nous avons tenu à inviter une figure qui impacte d’abord les politiques qui sont à même de faire de ce Maroc de demain, un Maroc en symbiose avec les changements globaux et sociétaux, mais aussi qui a été témoin, bien plus, acteur de ce digital des années 80, 90 et 2000. Pour commencer, pourrions-nous porter ensemble un regard dans le rétroviseur, pour ceux qui n’ont pas vécu l’histoire ?

M. Aziz Rabbah : Tout d’abord, l’histoire du numérique au Maroc ne date pas d’hier. Dès les années 80, le Maroc a vu le lancement de la dynamique d’informatisation au sein de l’administration. Je me rappelle très bien qu’il y avait une concurrence extraordinaire entre certaines administrations pour acquérir les solutions, les infrastructures informatiques. Cette concurrence s’est illustrée aussi dans le recrutement des informaticiens. Chaque administration disposait de sa propre solution qui, souvent, se réduisait à la gestion des ressources humaines, du patrimoine et à la comptabilité. Très peu d’administrations disposaient d’applications dites « métier ».

Lecture rétrospective de la transformation digitale au Maroc

À la fin des années 80, on a commencé les premières réflexions autour de ce que l’on appelle des progiciels. Cette période a aussi connu le début de la structuration du secteur, avec la création de l’APEBI, l’association des acteurs informatiques du secteur privé. L’une des aventures marquantes de cette décennie, était celle d’ATLAS, le premier micro-ordinateur assemblé au Maroc. Malheureusement, cette aventure n’a pas reçu les incitations et le cadre favorable qui lui aurait permis de survivre et de se développer.

Les années 90 ont été les années des grandes solutions informatiques, de l’informatisation de l’administration ; et les premiers débats sur ce que nous appelons aujourd’hui le e-Gov. Les années 90, c’est aussi la décennie des grandes réformes des télécoms et l’arrivée de l’Internet, aussi bien dans les entreprises que dans les institutions publiques. II y a eu également la création de votre association l’AUSIM, interlocuteur de première importance et porte-parole des utilisateurs et usagers des systèmes informatiques au Maroc.

Les années 90 ont connu aussi la création de la première plateforme d’incubation des sociétés innovantes dans les TIC au Maroc. C’est ainsi que le TechnoPark a vu le jour. De 2000 à 2010, c’est ce que j’appellerais la décennie de la société de l’information. Elle a vu l’aboutissement des grandes initiatives e-gov et e-commerce. C’est aussi la décennie des grandes feuilles de route du Maroc Numérique. La signature électronique est surement l’un des plus grands challenges de cette période.

Puis de 2010 à 2020, c’est le passage en revue et l’évaluation des stratégies nationales numériques établies jusqu’ici. Cette décennie est marquée par la création de l’Agence Nationale du Développement du Digital, l’ADD. L’objectif principal étant de coordonner les initiatives nationales publiques dans ce secteur.

M.Saad : En analysant le classement du Maroc selon l’indice eGDI 2018, le Maroc arrive en sixième position, devancé par l’Ile Maurice, l’Afrique du Sud, la Tunisie, les Seychelles et le Ghana ! Selon vous, comment pouvons nous positionner le secteur du digital comme prioritaire, et relancer son ambition de leader régional du secteur ?

M. Aziz Rabbah : Depuis maintenant plusieurs années, dans le classement mondial e-gov, le Maroc fait du surplace à la 6ème place africaine. Pour aller de l’avant et entamer un réel sursaut, deux pistes sont pour moi les facteurs-clés de succès sur lesquels nous devons capitaliser. En premier lieu, il est important de mobiliser la société civile, d’où le rôle de l’AUSIM, de l’APEBI, de Maroc Numeric Cluster ainsi que de l’ADD. Il est important de mettre en place, dans le secteur du Numérique, la même dynamique que nous avons réussi à construire dans d’autres secteurs. Je citerais le secteur automobile à titre d’exemple.

La deuxième piste, c’est le volet ressources humaines. Aujourd’hui, au delà des frontières marocaines, le monde a un besoin important en matière de compétences dans le secteur du Digital. Nous devons préparer notre jeunesse afin d’avoir notre mot à dire sur ce marché mondial. Nous devons monter en charge, non seulement pour répondre aux attentes locales mais en étant compétitif et attractif au niveau régional, si ce n’est mondial.

Il est également nécessaire que le Ministère de l’Industrie, du Commerce, de l’Economie Verte et Numérique, ainsi que le Ministère de l’Economie et des Finances, se mettent d’accord pour développer un cadre favorable pour un vrai décollage du secteur du Numérique au Maroc. Le Digital au Maroc a besoin d’une incitation réelle afin de booster ce secteur si stratégique dans le monde d’aujourd’hui.

M. Saad : Notre prochain Axe, et non des moindres, adresse les infrastructures. Aujourd’hui il y a de grandes attentes en haut débit et en couverture télécom. Il y a aussi un besoin de Cloud souverain et de data centres régionaux ; une promesse qui date de Maroc Numéric 2013. Etes-vous satisfait, Monsieur le Ministre, de l’Infrastructure dont dispose notre pays en matière d’infra technologique ?

M. Aziz Rabbah : Le Maroc d’aujourd’hui n’est pas le Maroc d’il y a 20 ans, ni même celui d’il y a 10 ans. Quand je regarde le chemin parcouru par le Maroc, mon regard est très positif. Il y a eu une grande évolution dans l’infrastructure, mais également dans l’état d’esprit des citoyens. Au niveau du monde rural, nous sommes passés par exemple d’un besoin en électricité, à un besoin en bande passante Data pour développer des moyens de production ruraux. C’est gratifiant et challengeant en même temps.

Pour relever ces nouvelles attentes, il faut une logique transversale et mutualisée, pour que tous les efforts aillent dans le sens d’une augmentation de la valeur ajoutée orientée utilisateurs ; qu’il s’agisse de contenu ou de contenant, la logique en silos est définitivement dépassée. Les différents acteurs doivent opérer en synergie afin de répondre aux challenges des années à venir.

M. Saad : On constate aujourd’hui que la R&D est le parent pauvre de nos entreprises mais aussi de nos universités. Comment motiver le duo gagnant entreprise/ université, Institution publique/ semi-publique et université? Qu’en est-il d’encourager la R&D, de développer l’innovation et d’inciter les chercheurs à faire de la recherche et les organisations à la sponsoriser ?

M. Aziz Rabbah : Je constate que le Maroc a œuvré depuis plusieurs années à la mise en place de quelques écosystèmes nationaux pour stimuler la collaboration entreprise/ université autour de sujets innovants, qu’il s’agisse de R&D Maroc, des différents parcs technologiques installés dans différentes villes marocaines ou encore de la plateforme Mascir. Il est temps de recenser ces environnements de recherche, d’en évaluer le rendement, afin de remédier aux défaillances, qu’il s’agisse de financement ou d’équipement. Pour réconcilier les entreprises marocaines et la R&D, des incitations fiscales devraient encourager l’investissement dans la recherche et l’innovation. Il est aussi important de mutualiser les plateformes et les environnements de R&D en encourageant la mise en réseau de ces centres à l’échelle des différentes régions du Royaume.

M. Saad : Pendant cette crise du Covid-19, le Digital a montré son grand potentiel dans la relance de l’économie. Comment faire du Digital un vrai levier de relance ?

M. Aziz Rabbah : Vous avez certainement suivi les différentes interventions du Chef du Gouvernement au Parlement comme ailleurs. Pour relancer l’économie après cette crise de la Covid, le gouvernement a identifié plusieurs priorités. Parmi celles-ci, on retrouve bien évidemment, le numérique et les technologies de l’information. Que la situation soit choisie ou subie, la réponse importe peu. Il s’agit d’un itinéraire irréversible. J’appelle cela la deuxième vague de numérisation à l’échelle nationale. On va capitaliser sur les expériences des uns et des autres sur le plan des stratégies, des plans et des projets ; en tout cas, le cadre institutionnel est là.

La digitalisation de notre société permettra au citoyen, tout simplement, de vivre mieux,. Que ce soit dans le domaine de la culture, de la santé, de l’éducation, du sport, ou dans n’importe quel autre domaine. J’appelle l’AUSIM et les autres acteurs du Digital à être présents.

Aujourd’hui, je défends le Digital non seulement parce que je suis moi-même informaticien de formation, mais parce que j’y crois profondément. Je suis à votre disposition, comme l’ensemble des membres du Gouvernement, à commencer par le Chef du Gouvernement. Il faut saisir cette opportunité pour créer un lobbying positif autour de la question de la digitalisation du Maroc.

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