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Début de carrière : quelle réalité pour les ingénieurs fraîchement diplômés au Maroc ?

Début de carrière : quelle réalité pour les ingénieurs fraîchement diplômés au Maroc ?

Salaire des ingénieurs débutants au Maroc : Entre ambitions et réalités du marché de l’emploi

Les jeunes ingénieurs marocains aspirent à des rémunérations à la hauteur de leurs qualifications et du prestige associé à leur métier. Cependant, le marché de l’emploi, avec ses dynamiques complexes, impose souvent un réajustement de ces ambitions. D’après un sondage LinkedIn réalisé en 2024 par l’ing. Abdelouahed Chbihi, alias « AlMuhandis », suivi par près de 46 500 personnes, 46 % des 3 557 répondants estiment que le salaire net d’un ingénieur débutant devrait se situer entre 8 000 et 10 000 dirhams. De plus, 35 % espèrent une rémunération comprise entre 10 000 et 12 000 dirhams, tandis que 14 % envisagent un salaire supérieur à 12 000 dirhams. À l’inverse, seulement 4 % jugent acceptable un salaire inférieur à 8 000 dirhams.

Ces chiffres témoignent des ambitions élevées des jeunes diplômés en ingénierie, mais ils soulignent également un décalage entre les attentes et les réalités du marché de l’emploi. Le manque d’un observatoire officiel dédié à l’ingénierie au Maroc complexifie l’analyse de ces écarts. Chaque parcours professionnel est unique, et les variations salariales peuvent s’expliquer par des facteurs comme la conjoncture économique, les disparités régionales, et la diversité des secteurs d’activité.

Contexte salarial dans la fonction publique et secteur privé

La récente révision du statut des ingénieurs dans la fonction publique (juillet 2024) a fixé le salaire net d’un ingénieur d’État de premier grade à 9 063,39 dirhams. Ce montant, considéré comme un minimum par les syndicats, devrait s’appliquer également aux ingénieurs du secteur privé et semi-public. Néanmoins, en l’absence de conventions collectives incluant à la fois le gouvernement, la CGEM et les ingénieurs marocains, les salaires proposés sur le marché privé restent souvent en deçà des qualifications et des attentes.

Parcours de Khadija : une exception plutôt qu’une règle

Prenons l’exemple de Khadija, jeune ingénieure en informatique diplômée de l’Université Hassan II de Casablanca. Elle a démarré sa carrière avec un salaire modeste de 3 500 dirhams. Grâce à un parcours professionnel marqué par une montée en compétences, des changements d’entreprise et des certifications techniques reconnues, son salaire a grimpé à 28 000 dirhams en l’espace de quatre ans.

Bien que ce type de progression reste rare, il montre qu’une entrée difficile sur le marché du travail peut parfois mener à une carrière lucrative. Cependant, de nombreux jeunes ingénieurs refusent désormais de commencer avec des salaires aussi bas, préférant prolonger leur recherche d’emploi plutôt que de s’engager dans des postes qu’ils jugent dévalorisants.

Comparaison internationale : l’exemple de la France

À titre de comparaison, les jeunes ingénieurs français bénéficient d’un environnement salarial bien plus avantageux. Selon l’Association pour l’emploi des cadres (Apec), le salaire médian brut d’un ingénieur débutant en 2023 se situe entre 36 000 et 40 000 euros par an, soit entre 30 000 et 33 000 dirhams mensuels. Cette différence salariale marquée met en lumière les défis auxquels sont confrontés les ingénieurs marocains, dont les rémunérations initiales ne reflètent souvent pas la valeur de leurs qualifications.

Cependant, il est essentiel de nuancer cette comparaison. En rapportant les salaires d’ingénieurs aux salaires minimaux des deux pays, on observe que le salaire d’un ingénieur débutant en France est 1,89 fois supérieur au SMIC, tandis qu’au Maroc, il est 3 fois plus élevé que le SMIG. En termes relatifs, cet écart est donc plus favorable aux ingénieurs marocains, mais cette analyse doit être tempérée par la différence significative du coût de la vie entre les deux pays.

Satisfaction salariale : Un Sentiment Mitigé

Malgré ces chiffres, la satisfaction salariale chez les jeunes ingénieurs marocains reste mitigée. Selon le même sondage, seulement 26 % des répondants se disent pleinement satisfaits de leur premier salaire, 40 % se déclarent « un peu » satisfaits, tandis que 34 % trouvent leur rémunération en décalage total avec leurs attentes. Ce sentiment d’insatisfaction traduit le fossé existant entre les ambitions salariales des ingénieurs diplômés et la réalité du marché de l’emploi au Maroc.

Cette tendance n’est pas exclusive au Maroc. À l’échelle mondiale, selon une étude réalisée par LinkedIn en 2023, seulement 30 % des jeunes diplômés, tous secteurs confondus, sont satisfaits de leur premier salaire, et 45 % estiment être sous-payés par rapport à leurs attentes. Les secteurs techniques, tels que l’ingénierie, semblent être particulièrement concernés par cette dynamique, malgré des salaires généralement plus élevés que dans d’autres domaines.

L’importance croissante des compétences transversales

Un autre facteur qui influence l’insertion est l’importance croissante des compétences transversales ou « soft skills ». Selon les chiffres du même sondage, 63 % des jeunes ingénieurs marocains estiment que les compétences non techniques, surpassent désormais l’importance des compétences techniques. La capacité à communiquer, à travailler en équipe, et à gérer des projets est aujourd’hui perçue comme essentielle pour réussir dans le monde professionnel, où les défis collaboratifs se multiplient.

Ce constat est partagé à l’échelle internationale. En France et dans de nombreux pays, les entreprises privilégient de plus en plus des qualités comme l’adaptabilité, le leadership et l’intelligence émotionnelle. D’après une enquête menée en 2023 par LinkedIn, 67 % des employeurs mondiaux placent les soft skills au cœur de leurs critères de recrutement, une tendance qui reflète les besoins d’une économie en pleine mutation, où les ingénieurs sont appelés à être à la fois techniciens et leaders.

Réseautage : une arme décisive

Le réseautage est également perçu comme un élément essentiel dans la recherche d’emploi. 64 % des ingénieurs considèrent que les relations personnelles sont déterminantes pour trouver un emploi, tandis que 31 % jugent qu’elles sont importantes, mais doivent être associées à des compétences solides. Ce phénomène illustre une réalité souvent critiquée, où les connexions peuvent parfois surpasser les qualifications professionnelles dans le processus de recrutement.

Ce constat n’est pas unique au Maroc. À l’échelle internationale, notamment en France, le réseautage demeure un facteur clé dans la recherche d’emploi. Selon une étude de l’Apec, une grande partie des jeunes diplômés reconnaît l’importance des contacts professionnels, qu’ils acquièrent via des stages, des forums ou des événements. Cette dynamique démontre que, dans un marché de plus en plus compétitif, savoir se connecter et se faire connaître peut ouvrir des portes parfois inaccessibles par les seules compétences techniques.

Travailler à l’étranger : une alternative tentante

Face à un marché de l’emploi souvent perçu comme insatisfaisant, l’idée de l’expatriation attire un grand nombre de jeunes ingénieurs marocains. Selon l’enquête d’AlMuhandis, 67 % des participants envisagent sérieusement de partir à l’étranger, tandis que 10 %** y travaillent déjà. Seuls 13 % n’envisagent pas cette option, reflétant l’ampleur du phénomène.

Cette « fuite des cerveaux », loin d’être nouvelle, a été mise en lumière dès 2019, lorsque la présidente de l’APEBI a révélé que 50 ingénieurs IT quittent le pays chaque mois, attirés par des offres européennes plus attractives. Pour les frères Lakhdissi, experts en IT, l’émigration n’est pas un mal en soi, tant qu’elle s’inscrit dans un plan de carrière responsable. Cependant, ils appellent à une réflexion nationale : la citoyenneté implique de contribuer au développement du pays, quel que soit le lieu de résidence, et l’augmentation de ces départs doit alerter les décideurs sur l’attractivité économique du Maroc.

Lien entre études et premier emploi : Le déclassement des ingénieurs

Quant à la pertinence du premier emploi par rapport aux études, les réponses sont partagées. 37 % des répondants considèrent que leur premier emploi était entièrement en lien avec leur formation, 37 % estiment qu’il l’était partiellement, et 26 % jugent qu’il n’y avait aucune corrélation.

Selon le HCP, chez les ingénieurs, le déclassement, défini comme l’occupation d’un emploi inférieur à leurs qualifications, est notable. En effet, 43,4 % des ingénieurs déclassés se trouvent dans le secteur public, 39,6 % dans le privé, et 9,3 % en tant qu’indépendants. Ce phénomène de déclassement, qui culmine entre 25 et 30 ans avant de diminuer avec l’âge, reflète une inadéquation croissante entre la formation reçue et les exigences des emplois disponibles, entraînant une sous-utilisation des compétences et un écart entre les aspirations professionnelles et la réalité du marché.

Délais pour trouver un premier emploi

Les délais pour décrocher un premier emploi varient considérablement pour les ingénieurs marocains. Selon l’enquête d’AlMuhandis, 44 % des jeunes diplômés trouvent un emploi en moins d’un mois, tandis que 29 % y parviennent dans un délai de six mois. Cependant, 12 % d’entre eux attendent jusqu’à un an, et 15 % peinent à décrocher leur premier emploi après cette période.

Ces chiffres contrastent avec ceux des lauréats de l’enseignement supérieur au Maroc, où la moyenne d’attente avant un premier emploi est d’environ 11 mois, selon une enquête menée en 2018 par l’Instance nationale d’évaluation. Ce délai prolongé reflète une inadéquation entre la formation et le marché de l’emploi, accentuée dans les filières techniques où les attentes salariales et professionnelles sont souvent élevées.

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