Accès des femmes au foncier : Un levier pour l’équité et le développement durable
Interview exclusive avec l’Ingénieur en Chef Principal M. Yassine Maach, Responsable du Centre d’Inclusion des Femmes au Foncier (CIFF) au Pôle Digital du Ministère de l’Agriculture au Maroc.
L’accès au foncier est un enjeu stratégique pour l’autonomisation économique des femmes marocaines, en particulier dans les zones rurales où l’agriculture constitue une source clé de revenus. Dans cet entretien, M. Yassine Maach, Cadre supérieur au ministère de l’Agriculture, revient sur les avancées, les défis et les perspectives en matière d’inclusion foncière des femmes au Maroc.
Q : Pourquoi l’accès des femmes au foncier est-il si important dans le contexte marocain ?
M. Maach : Le foncier est bien plus qu’un simple actif économique: il est le socle de la sécurité alimentaire, de l’entrepreneuriat agricole et de la stabilité sociale. Dans le contexte marocain, où l’agriculture emploie une part importante de la population rurale, l’accès des femmes à la terre leur permet non seulement de produire pour leur foyer, mais aussi de générer des revenus et de contribuer au développement local. Pourtant, l’accès au foncier reste marqué par des disparités. Les femmes n’étant souvent pas considérées comme héritières prioritaires ou propriétaires légitimes dans certaines régions.
Q : Quelles réformes législatives ont été adoptées pour améliorer l’accès des femmes au foncier ?
M. Maach : Le Maroc a initié plusieurs réformes majeures ces dernières années. Parmi elles, la loi n° 62.17 sur les terres soulaliyates, promulguée en 2019, consacre l’égalité entre les hommes et les femmes dans la gestion des terres collectives. Cette réforme historique met fin à des pratiques discriminatoires profondément ancrées.
Elle s’inscrit dans la continuité des avancées traduites par le Code de la famille (ou Moudawana) en 2004, ainsi que par la Constitution marocaine de 2011, qui a marqué une étape décisive pour les droits des femmes, en promouvant l’égalité des sexes et la protection des droits humains.
Q : Quelles initiatives concrètes ont été mises en place pour accompagner ces réformes ?
M. Maach : Pour accélérer l’accès des femmes à la propriété foncière et renforcer la gouvernance dans ce domaine, le gouvernement a déployé une stratégie multisectorielle ambitieuse. Elle implique plusieurs acteurs, notamment le Ministère de l’Agriculture, l’Office National du Conseil Agricole, l’Agence pour le Développement Agricole, l’ANDZOA, le Ministère de l’Intérieur via la Direction des Affaires Rurales (DAR), l’Initiative Nationale pour le Développement Humain (INDH), et la liste est plus longue.
En collaboration avec le Millenium Challenge Corporation (MCC), le gouvernement a également créé en 2023 le Centre d’Inclusion des Femmes au Foncier (CIFF). Cette plateforme se consacre à la sensibilisation, à la formation et à l’accompagnement des femmes dans leurs démarches foncières, leur fournissant des outils juridiques et administratifs pour revendiquer leurs droits et développer leurs activités.
Q : Quels résultats observez-vous depuis la mise en œuvre de ces initiatives ?
M. Maach : Grâce aux réformes et aux initiatives entreprises, des progrès significatifs sont déjà observés. L’accès des femmes à la propriété foncière, longtemps restreint, s’améliore progressivement. Les coopératives féminines connaissent un succès croissant, révélant un potentiel économique prometteur.
L’attribution d’un million d’hectares de terres collectives, associée à des mesures incitatives, accélère cette dynamique positive. Le CIFF, créé en 2023, joue un rôle déterminant dans cet effort en coordonnant et renforçant les actions existantes pour garantir un impact durable et transformer le paysage foncier marocain.
Q : Quels sont les principaux obstacles qui freinent encore les femmes dans l’accès au foncier ?
M. Maach : Les défis sont multiples. Les normes culturelles patriarcales perpétuent l’idée que la terre appartient prioritairement aux hommes. Dans certaines régions, des femmes hésitent à revendiquer leurs droits, par crainte de représailles ou par méconnaissance des réformes légales.
Par ailleurs, des contraintes économiques persistent : près de 40 % des femmes entrepreneuses n’ont pas accès à des financements formels. Sans capital, il est difficile de développer des projets agricoles ou d’exploiter des terres de manière optimale. Enfin, le manque de sensibilisation et de formations sur la gestion foncière reste un frein important.
Q : Le CIFF semble jouer un rôle clé dans ce processus. Pouvez-vous nous en dire plus sur ses actions concrètes ?
M. Maach : Absolument. Le CIFF intervient sur plusieurs axes :
- Organisation de sessions de formation pour informer les femmes sur leurs droits fonciers (héritage, achat, exploitation agricole).
- Mise en place d’un accompagnement personnalisé pour les aider à naviguer dans des procédures administratives souvent complexes.
- Collaboration avec des partenaires nationaux et internationaux pour faciliter l’accès des femmes aux financements nécessaires à leurs projets.
Le CIFF développe également un observatoire destiné à collecter et analyser des données sur l’accès des femmes au foncier, afin d’orienter les politiques publiques et de promouvoir l’équité.
Q : Un mot pour les femmes qui hésitent encore à revendiquer leurs droits ?
M. Maach : Mon message est simple : osez ! Les lois et les institutions sont désormais de votre côté. Des structures comme le CIFF existent pour vous accompagner. En revendiquant vos droits, vous bâtissez non seulement votre avenir, mais également celui des générations futures.
Un avenir prometteur, mais des efforts à poursuivre
Le Maroc est engagé sur la voie de l’égalité des sexes, mais la mobilisation de toutes les parties prenantes reste essentielle pour briser les barrières restantes et assurer un succès durable.