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Quelles carrières professionnelles pour les femmes ingénieurs ?

Quelles carrières professionnelles pour les femmes ingénieurs ?

Extrait d’une communication faite par Scarfò Ghellab Grazia, (Sociologue, Professeure de sociologie à l’Ecole Hassania des Travaux Publics de Casablanca, Maroc et Directrice d’études invitée à la FMSH), dans le cadre d’une recherche sur Les ingénieurs et la société maghrébine. Recherche qui est cordonnée et financée par l’Institut de recherche sur le Maghreb contemporain de Tunis.

Nous avons dit que les carrières des “ héritières ” paraissent plus rapides et plus brillantes que celles des femmes ingénieurs issues d’un cursus scolaire local, si prestigieux soit-il. Mais, plus généralement, comment sont les carrières des femmes ingénieurs interviewées ?

Evidemment, le critère “âge ” nous sert dans ce cas à saisir l’évolution et la rapidité des différentes trajectoires professionnelles.

Un premier constat concerne le contenu du travail de ces femmes : elles sont toutes – à l’exception d’une seule – restées assez proches de leur domaine de compétence ou par le biais de l’exercice d’un travail fortement technique ou un occupant des fonctions managériales en relation avec leur métier de base.

Dans le cadre des femmes qui ont intégré le secteur public ou le semi-public :

à part les plus jeunes qui sont au début de carrière, toutes – sauf une qui est encore chef de service – sont arrivées aujourd’hui à atteindre au moins le statut de “ chef de division ” : trois d’entre elles, issues de deux grandes écoles françaises, ont pu dépasser ce niveau et sont aujourd’hui respectivement chef de trois divisions d’un Office, directeur et sous-directeur dans le semi-public.

La première a mis 18 ans pour atteindre ce poste et les deux autres respectivement 12 et 15 ans. A diplôme et origine sociale égales, les carrières des ingénieurs hommes interviewés ont été décidément beaucoup plus rapides et bien plus prestigieuses (parmi ces derniers, nous avions rencontré des ex-ministres, des directeurs de grands organismes publics, etc.). Evidemment – il faut le répéter – seulement une grande enquête statistique sur les ingénieurs marocains nous permettrait de vérifier les hypothèses concernant le rôle et le poids que l’origine sociale, le cursus scolaire et le sexe ont dans la construction de ces trajectoires.

Du même auteur: LES FEMMES INGÉNIEURES MAROCAINES ET CHOIX DE CARRIÈRES

En ce qui concerne le secteur privé :

nous sommes confrontés à deux carrières brillantes et très rapides : il s’agit là de deux “ héritières ” déjà citées auparavant. Nous avons, toutefois, déjà remarqué qu’elles sont loin du pôle du pouvoir. Respectivement, l’une est directeur marketing (le n-1 du Directeur Général) et l’autre est directeur du développement, dans deux grands groupes privés marocains.

De deux autres, issues les deux des classes moyennes marocaines (traditionnelles et nouvelles), ayant fréquenté l’EMI et l’EHTP, l’une se plaint fortement de la lenteur de sa carrière et, faits à la main, impute cela au fait d’être une femme : elle occupe aujourd’hui le poste de “ chef de projet ”, mais elle affirme qu’elle aurait pu être à la place de son directeur et être aujourd’hui “ directeur de projet ”. Par ailleurs, elle a attendu 25 ans pour occuper le poste actuel. L’autre se plaît dans son poste, mais ça fait déjà huit ans qu’elle est “ ingénieur d’étude ”.

Nous rappelons que toutes ces femmes ont eu une curriculum scolaire excellent, beaucoup d’entre elles ont été major de promotion. S’il est vrai que des bonnes connaissances peuvent ne pas se transformer en compétences, il est difficile d’imaginer que toutes les femmes interviewées, qui n’ont pas réalisé des parcours brillants, soient toutes des personnes incompétentes : et cela même dans le cadre d’un faible échantillons de treize personnes.

La perception qu’elles ont de leur carrière est intéressante : la plupart – en répondant à la question directe – ne dit pas avoir souffert d’une discrimination lors de la carrière. Mais, finalement, dans la foulée du discours, toutes sans exception affirment que pour arriver là où elles sont arrivées, elles ont dû montrer d’être constamment à la hauteur, constamment excellentes et cela beaucoup plus que leurs collègues hommes à poste égal : “ L’erreur et la médiocrité ne sont pas permis à une femme ! ”.

En conclusion,

la “ variable sexe ” – la question du genre – se révèle fort utile pour comprendre des trajectoires personnelles, scolaires et professionnelles caractérisées par la complexité et la spécificité. D’autres variables paraissent aussi essentielles : “ l’origine sociale ” et “ le cursus scolaire ” accompli. Et comme dit Catherine Marry “ Il s’agit moins aujourd’hui de mesurer l’importance relative des déterminants de classe et de sexe que de comprendre leur jeu subtil et indissociable. ”.

C’est pour cela que la recherche doit être poursuivie non seulement par le biais de la mise en place d’une grande étude statistique au niveau national, mais surtout à travers la suite d’une étude en profondeur, par entretiens, d’autres femmes et hommes ingénieurs ainsi que de leur environnement familial et scolaire.

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